Dans le cadre de notre série sur les Femmes en douane de l’OMD, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Kanika Khim, directrice adjointe du Département des douanes et accises à l’aéroport international de Phnom Penh, au Cambodge. Dans cet entretien, elle nous raconte sa carrière professionnelle dans un milieu essentiellement masculin et nous explique comment le travail douanier a évolué vers une plus grande efficacité et une coopération renforcée. L’interview nous a permis de découvrir la remarquable détermination de Kanika, sa joie de vivre et son désir de s'améliorer, d'apprendre et de partager ses connaissances.
OMD : Kanika, merci de nous avoir rejoints aujourd'hui. Parlez-nous de vous. D’où venez-vous et comment vous êtes-vous retrouvée à travailler en douane ?
Kanika Khim : Je suis cambodgienne. Je suis née à Phnom Penh, la capitale du Cambodge, en 1983. J’ai suivi des études de pharmacie et d’anglais à l’université. Pendant mes études, je me suis mariée et j’ai fondé une famille. J’ai eu d’abord deux filles, qui sont maintenant âgées de 21 et de 17 ans, puis j’ai eu mon fils, qui a 8 ans.
J’ai été femme au foyer pendant six ans et puis j’ai décidé qu’il était temps pour moi de trouver un emploi. À l’époque, mon mari travaillait pour la douane depuis quelques années et l’Administration recrutait. Le concours d’entrée était ouvert à toute personne ayant un diplôme de bachelier et j’ai donc décidé de tenter ma chance. Même si nous avions un douanier dans la famille, j’avoue que je ne savais pas grand-chose sur la douane, mais les épreuves de l’examen portaient sur les mathématiques, l’anglais et la culture générale.
Je me suis présentée au concours en 2010. Nous étions plus de 4 000 candidats pour 100 postes. Je l’ai réussi et j’ai suivi avec succès la formation d'initiation de trois mois, puis j’ai pris mes fonctions à l’aéroport international, où je travaille encore aujourd'hui.
OMD : Avez-vous déjà eu l'occasion d'utiliser vos connaissances en pharmacie ?
Kanika Khim : En fait, oui ! Mes connaissances en chimie me sont encore d'une grande utilité. Je peux facilement détecter les erreurs au niveau des importations des produits médicaux, des médicaments et même de certains équipements. Chaque fois qu'il y a un problème avec un envoi concernant ce type de produits, c’est moi qu'on appelle à l’aide.
OMD : Parlez-nous de vos débuts et de votre parcours professionnel jusqu'à aujourd'hui.
Kanika Khim : J’ai commencé à travailler à l’aéroport au sein de l'équipe opérationnelle responsable du contrôle des voyageurs et des marchandises. Nous faisions des tournantes mensuelles entre les terminaux des passagers et le terminal de fret. Depuis 2016, je fais partie d'une équipe de 10 agents chargée de l’inspection du fret et mon travail se focalise plus spécialement sur le contrôle des envois express.
Indépendamment de mon travail à l’aéroport, je participe aux travaux du Groupe de l’évaluation en douane et j’ai également été membre de la Commission responsable de la mise à jour du tarif douanier en 2017 et en 2022. J’ai aussi pris part à de nombreux projets de réforme, notamment sur la révision de la législation douanière et la mise au point d'un système informatique pour traiter les envois express.
Je dirais que ma carrière a connu un tournant décisif lorsque j'ai été sélectionnée pour rejoindre l'unité de contrôle du fret aérien (UCFA) du Cambodge en 2018, dans le cadre du Programme de contrôle des passagers et du fret, qui est géré conjointement par l'OMD et l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime. J’ai ainsi eu la possibilité de participer à de nombreuses formations, notamment à l'étranger, et de me familiariser avec les expériences et les meilleures pratiques d’autres pays. La création de l’UCFA a eu d’énormes répercussions sur la manière dont nous travaillons.
OMD : Pouvez-vous nous expliquer en quoi les choses ont changé ?
Kanika Khim : Pour sélectionner un envoi aux fins d'une inspection, nous avions coutume d’analyser les données sur la base d’indicateurs de risque que nous avions mis au point en nous basant sur notre expérience, le principal indicateur étant le pays d'origine. Or, nous menions essentiellement des contrôles aléatoires. Il nous manquait aussi le matériel nécessaire pour identifier les compositions chimiques.
Durant la formation dispensée par les experts de l’OMD, nous avons appris à utiliser diverses sources d'informations et bien d’autres indicateurs pour établir le profil de risque des envois et des passagers. Nous sommes capables aujourd’hui de cibler les contrôles de manière plus efficace, ce qui est de la plus haute importance compte tenu de l’augmentation du nombre de voyageurs et des volumes de fret aérien au cours des dernières années. Nous avons également reçu un spectromètre pour identifier les éléments chimiques.
Certains documents, comme les manifestes de chargement, ne sont pas toujours disponibles sous un format numérisé, ce qui pose un problème pour mettre en place une politique robuste de gestion des risques.
Nous avons récemment déployé un système qui nous permet de recevoir des renseignements sur les envois express par voie électronique et, grâce au Global Travel Assessment System, dont le Service de la Douane et de la protection des frontières (CBP) des États-Unis nous a fait don, nous pouvons recueillir les renseignements préalables concernant les voyageurs ainsi que les données des dossiers passagers.
Les deux systèmes ont été déterminants pour renforcer notre capacité à vérifier les données de manière systématique et cohérente en nous basant sur les indicateurs de risque. Les risques sont aussi désormais évalués avant que les envois express ou les passagers n’arrivent.
Cela dit, pour le fret aérien, les manifestes nous sont encore remis en format papier lorsque les marchandises arrivent à l’aéroport.
OMD : On dirait que les pratiques et les procédures ont évolué rapidement au cours des dernières années.
Kanika Khim : En effet, l’Administration n’a cessé de moderniser ses opérations et ses processus. Un nouveau projet de législation douanière a récemment été préparé et sera bientôt soumis au Parlement pour adoption.
Il est intéressant de voir que même les agents de terrain peuvent être un moteur de changement. De temps à autre, on nous demande de réagir par rapport aux politiques en place et aux problèmes que nous rencontrons sur le terrain.
Par exemple, pendant longtemps, le Cambodge n’acceptait pas les opérations de transbordement*. J’avais entendu parler de la procédure par nos homologues étrangers et en suivant les cours sur la plateforme CLiKC! de l’OMD. Lorsque le gouvernement a enfin demandé à mon Administration de mettre au point un règlement sur le transbordement, j’ai mis mes connaissances à profit et j’ai participé à la formulation de la nouvelle procédure.
Les représentants du commerce sont également consultés durant le processus d'élaboration des réglementations. La manière dont la douane interagit avec les commerçants et leurs représentants a considérablement évolué. À l’aéroport, nous ne sommes pas uniquement là pour faire respecter la loi mais aussi pour aider les personnes. Nous essayons de comprendre leurs difficultés et de voir où elles se sont trompées, afin qu’elles puissent apprendre de leurs erreurs.
OMD : Y a-t-il beaucoup de femmes qui travaillent en douane au Cambodge et est-il habituel de voir des femmes sur le terrain ?
Kanika Khim : Environ 15% des douaniers sont des femmes. Le travail douanier n’intéresse vraiment pas les femmes au Cambodge. Lorsque j’ai rejoint mon Administration en 2010, très peu de femmes se présentaient au concours de recrutement et c’est encore le cas aujourd'hui. D’ailleurs, sur les 15 personnes que compte l’UCFA, seules trois sont de femmes.
Je ne remarque aucune différence dans le traitement qui est réservé aux hommes et aux femmes. Nous sommes tous évalués par nos supérieurs hiérarchiques, puisqu’ils connaissent la façon dont nous travaillons et dont nous nous comportons. Par contre, les femmes sont plus susceptibles d'obtenir une promotion, étant donné que l’Administration a imposé des quotas de genre pour s’assurer que les femmes soient bien représentées, tout particulièrement au niveau décisionnel, et qu’il y a très peu de femmes en douane.
Le principal facteur qui dissuade les femmes d’entrer en douane est le système de mutations. En tant que douanière, vous pouvez être mutée dans une autre région du pays et la plupart des femmes ne sont pas prêtes à se soustraire aux traditions et privilégient la stabilité de leur famille avant tout. Le travail des femmes en douane jouissent heureusement de certains avantages. Elles sont dispensées du travail de nuit, par exemple, mais il est vrai qu’elles doivent accepter de travailler loin de leur foyer au moment de leur mutation.
OMD : Est-il difficile de travailler dans un environnement dominé par les hommes ? Quel conseil donneriez-vous aux nouvelles recrues de sexe féminin ?
Kanika Khim : Ça peut être difficile, surtout si vous travaillez sur le terrain parce que vous passez beaucoup de temps avec vos collègues. Si les sujets dont les hommes parlent habituellement ne vous intéressent pas, vous risquez fort de vous ennuyer, voire de vous sentir exclue. Je n’ai jamais rencontré ce problème parce que j’aime parler et que je participe toujours aux conversations avec les hommes de mon équipe, quel que soit le sujet, mais je peux comprendre que ça puisse être dur pour certaines femmes.
Il peut être intimidant de participer à des réunions où il n’y a que des hommes autour de la table. Je me prépare toujours bien avant une réunion. Si je présente une idée, je m’assure d’avoir toutes les informations, tous les faits et les chiffres à l’appui.
Il est important que les femmes prennent confiance en elles et développent des compétences spécifiques en matière de gestion. J’ai suivi des cours sur le leadership pour apprendre à parler en public et surtout, pour apprendre à être activement à l'écoute.
L'écoute est un élément fondamental pour une communication efficace, surtout lorsqu'on gère une équipe d’agents opérationnels à qui on doit donner des ordres et des instructions. S’affirmer dans la manière dont on agit et dont on parle, ça fait partie du boulot. Cela dit, durant les réunions ou les pauses, il est indispensable d'écouter les collègues et d’adopter une position différente.
OMD : Que diriez-vous aux femmes qui envisagent d’entrer en douane ?
Kanika Khim : Je leur dirais de ne pas hésiter et de rejoindre la douane. Le travail est varié, intéressant et même amusant. On apprend tous les jours et, si vous avez de bonnes idées, vous serez entendues. Qui plus est, vous contribuerez au développement du pays et vous aiderez à le protéger des activités criminelles.
OMD : Pensez-vous que la population au Cambodge comprend ce rôle joué par la douane ?
Kanika Khim : Peu sont ceux qui comprennent ce que fait la douane et c’est malheureusement aussi le cas des agences gouvernementales avec lesquelles nous travaillons. Nous sommes en train de rédiger du matériel de communication à l’intention des autres autorités publiques pour qu’elles puissent comprendre comment la douane fonctionne. L’Administration dispose d'un compte Facebook où elle fait la promotion des activités douanières, mais il est encore difficile de se faire voir et entendre par les citoyens ordinaires.
OMD : Comment parvenez-vous à concilier vie familiale et vie professionnelle ?
Kanika Khim : Lorsque j’ai commencé à travailler, mes parents ont emménagé chez moi pour m’aider à m’occuper des enfants et de la maison. Après le travail, je pouvais donc passer du temps avec ma famille, aider mes filles avec leurs devoirs ou leur lire des histoires.
Aujourd'hui, la situation a un peu changé car j’ai davantage de responsabilités et ce sont mes parents qui ont besoin d’aide. Mais, encore une fois, j’ai de la chance car ma sœur, qui est mère au foyer, habite tout près et puis mon mari et mes filles m’aident énormément aussi.
OMD : Où vous voyez-vous dans 10 ans ?
Kanika Khim : J’aimerais continuer à faire carrière. Ce n’est pas une question d’argent ou de prestige. Je veux juste faire entendre ma voix. Je veux utiliser mes connaissances et contribuer à améliorer nos pratiques. Je veux aussi continuer à apprendre. Je viens de terminer un mastère en gestion d'entreprise et je soutiens demain mon travail de fin d’études sur les petites et moyennes entreprises et les obstacles auxquels elles sont confrontées. Il m’a été difficile de recueillir des informations auprès des entreprises, mais je connais maintenant beaucoup mieux leurs contraintes et leurs besoins, en particulier lorsqu'il s'agit de transporter des marchandises par-delà les frontières. Ces connaissances me permettront de mieux faire mon travail et de voir les problèmes sous une perspective différente.
OMD : Merci d’avoir pris le temps de partager votre parcours et vos aspirations avec nous.
Kanika Khim : Merci à vous de m’avoir invitée à particip
* La Convention de Kyoto révisée de l’OMD offre la définition suivante du terme ‘transbordement’ : « le régime douanier en application duquel s'opère, sous contrôle de la douane, le transfert de marchandises qui sont enlevées du moyen de transport utilisé à l'importation et chargées sur celui utilisé à l'exportation, ce transfert étant effectué dans le ressort d'un bureau de douane qui constitue, à la fois, le bureau d'entrée et le bureau de sortie. »